La gauche veut nous priver de chômage ?


Je suis en colère.

Cela fait bientôt un an que je suis sans emploi. Après avoir bien profité de mes « allocations de retour à l’emploi » (ARE), puis d’un RSA qui à mis quatre mois à m’être versé, je me suis dit qu’il était temps d’arrêter de se la jouer solo et de participer à une organisation collective pour les droits au chômage. Je me tourne vers la Confédération Général du Travail (CGT) qui dispose d’un comité national dédiée à la question, sur le site Chômeurs CGT à l’adresse chomeurs-précaires-cgt.fr. Je clique et je lis alors le sous-titre du site : « Comité National CGT des Travailleurs Privés d’Emploi et Précaires (CNTPEP-CGT) ». Vous dites « Privés d’emploi » ? Je tique mais je continue. Sur la photo d’illustration du premier article qui apparaît sur le site, on peut lire sur une énorme banderole suspendue à un balcon : « GUERRE AU CHÔMAGE ! PAS AUX CHÔMEURS ! ». Comment ça « guerre au chômage » ? Bon, moi je suis pas un très grand lecteur alors plutôt que de lire des pavé pour essayer de comprendre les positions réel du comité et leurs action, je les ai contacté pour m’entretenir avec et pourquoi pas m’y syndiquer, puis je suis passé à autre chose.

 

Aujourd’hui, apparaît dans mon fil d’abonnement la vidéo de la chaîne Data Gueule (sur Youtube puisque PeerTube semble avoir été abandonné) titrée « Chômage, mirages, naufrages ». Très vite la vidéo commence par introduire la notion de chômage en disant que du latin « caumare« , il désigne à l’origine les repos pendant les chaleurs et que, par conséquent, il présupposerait de l’oisiveté. Je me sens insulté. Juste après elle préconise l’utilisation du terme « privé d’emploi » pour rappeler que chacun à « le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » selon le préambule de la Constitution de la Quatrième République. De la Quatrième République ?! Le « devoir de travailler » ????

Le discours ne change pas vraiment avec l’invitée de la vidéo, Claire Hédon, Présidente de ATD Quart Monde France. Elle aussi préfère dire « privé d’emploi ». Selon elle, « Le Marché » empêche les victimes des « inégalités », des « coups de pas-de-chance » d’avoir accès à l’emploi. Mais je veux pas d’emploi ! J’ai pas envie d’aller compter des sachets de légumes surgelés dans les bacs de congélation d’Intermarché ! Et, surtout j’ai pas envie d’être « intégré dans la société », je ne veux pas de votre « dignité », comme elle dit, si cela signifie de se faire exploiter pendant 42ans ! Je me suis arrêté quand elle a dit « On dépense beaucoup d’argent pour lutter contre le chômage et pas forcément de façon très efficace », l’injure était trop violente.

Qu’est-ce que le droit au chômage ?

En 1958, Force Ouvrière, le CFTC et la CGC permettent la création d’un droit au chômage détaché de la Sécurité Sociale qui était a l’époque gérée majoritairement par la représentation des travailleurs et travailleuses (raison pour laquelle la CGT à refusé de signer) qui permettait aux chômeurs de percevoir 90% de leur salaire brut, et ce de manière illimitée, indépendamment des cotisations versées par les bénéficiaires. Malheureusement, ce droit au chômage n’étant pas géré par les travailleurs et travailleuses, celui-ci est écorché dès 1982 transformant les chômeur de longue durée en RMIstes.

Basée sur le salaire en emploi, l’ARE est donc une continuation socialisée du salaire, surtout quand elle en représentait 90%. Parce que l’emploi confère une qualification au travailleur, cette qualification est retenue par la société à la fin de l’emploi et, puisqu’est attaché à la qualification un salaire, la société permet par la cotisation de continuer le salaire après l’emploi. Le travailleur reste donc qualifié mais libre de l’emploi, c’est à dire libre de produire, ou non, selon ses propres conditions.

Mais il faut le noter, le droit au chômage n’est pas un droit de l’inactif. C’est d’abord et avant tout un droit du Salarié à plusieurs niveaux :

  1. Le Salarié est assuré de continuer d’être reconnu comme travailleur et, par conséquent de percevoir un salaire, même hors du joug du patronat.
  2. Le droit au chômage est un argument de poids dans la négociation du salaire du Salarié et des condition du travail. Pourquoi accepter un emploi mal payé et sous des conditions inhumaines quand on peut être convenablement payé sans emploi ?

le chômage n’est dont pas une « assurance » contre le risque de la « perte » d’emploi, mais la reconnaissance d’un statut de travailleur, la création d’un droit au salaire détaché de l’obligation de l’emploi. C’est pour ça que j’ai bondi quand Data Gueule citait fièrement « le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi », parce que le chômage c’est la suppression de la pression sociale à s’employer au service du capital, et la création du droit à vivre sans emploi, c’est à dire tout-à-fait l’inverse ! Comment se fait-ce qu’un média de gauche défende une disposition intégrée à la constitution par la droite Gaulliste chrétienne ? Car, oui, la première proposition de constitution pour la Quatrième République n’intégrait pas cette phrase dans son préambule (dont la Cinquième République hérite), et c’est la seconde assemblée constituante dans laquelle le Mouvement Républicain Populaire (MRP, Gaullistes chrétiens) détient le plus de siège lui permettant d’imposer ses revendications alors qu’à la première constituante, le PCF était en tête. Cela seul devrait suffire à vous convaincre que cette disposition est de droite si le fait qu’elle ne satisfaisait que des fantasmes patronaux ne vous avait pas sauté aux yeux.

« Privé d’emploi » ? L’aliénation aux Patronat.

Comment n’est-il pas évident à qui que ce soit de gauche que ce vocable est tout-à-fait patronal ? Dois-je vraiment expliquer que nous considérer comme « privés d’emploi » insinue que l’emploi est un besoin vital et que seul l’employeur à intérêt à faire croire qu’il en est ainsi ?

Vous pourriez me dire que si, nous, prolétaires, avons besoin d’un emploi pour subvenir à nos besoins ! Mais ce n’est pas de l’emploi dont nous avons besoin, mais d’un revenu. Et, encore une fois, suis-je le seul à trouver évident que l’idéologie qui fait accepter que l’emploi soit le seul moyen d’obtenir un revenu, d’avoir le droit de vivre dans la société – car, c’est ce qu’avoir de l’argent signifie – est d’origine patronale ?

Parce que, comme par hasard, quand on dit « privé d’emploi », la solution qu’on trouve c’est, Eurêka ! mettre les chômeurs au boulot, et qu’importe les conditions puisque le plus important c’est l’accès au Graal, le rêve de tout être libre, l’exploitation !

Oh mais vous n’aimez pas « chômeur » ? Parce qu’il vient de caumare, le repos durant la chaleur ? Ça nous fait passer pour des oisifs ? Ah bon. Aurait-on oublié de Lafargue le Droit à la Paresse ? Pourquoi, Claire Hédon, se faire exploiter par le Capital serait le seul moyen d’accéder à la dignité ? Qui l’a décidé ? (A votre avis…). Et puis, pardon, mais ou est le mal à se reposer durant la chaleur ? C’est une pratique tout à fait normale que le patronat français nous a confisqué, pas un caprice de faignants. C’est simplement un comportement de survie du travailleur que de fuir le cagnard en plein été. Selon Le Monde, vendredi 1 Novembre 2024, 48 travailleurs sont mort à cause de la chaleur en 6 ans depuis 2018, c’est à dire 8 par ans. Et Santé Publique France comptait, en 2023, 16340 passages aux urgences, 10676 hospitalisations et 3455 consultation SOS Médecin pour des motifs liés à la canicule et recevait 11 signalements d’accidents du travail mortels en lien avec la chaleur. S’en protéger n’a rien de superficiel, d’abusif, de répréhensible. En France, nous avons bien le droit de retrait mais seul un Juge peut juger de la légitimité de son exercice en cas de contestation par l’employeur : réclamons la Hitzefrei (la liberté de la chaleur en allemand) qui permet aux écoliers allemands de quitter l’école en cas de trop forte chaleur. Bref.

Ou en était-je ? Ah oui ! Le droit du travailleur à protéger sa santé, je ne crois pas que ce soit une honte, au contraire, saluons-nous de nous protéger du soleil, du gel, et puis surtout du travail en général.

« La Gauche » abonnée au plein emploi

La plus grosse force de la gauche institutionnelle , la plus « radicale » – autant que puisse l’être une gauche républicaine – la France Insoumise, mais également ses partenaires de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES), ou du Nouveau Front Populaire (NFP), se perd également dans la promesse d’un « retour » au plein emploi. Son programme d’action gouvernemental, L’avenir en Commun (2021, Seuil), décrit le chômage comme un « fléau ». Et le remède serait la « garantie d’emploi », c’est à dire proposer à tous les chômeurs des emplois au SMIC « dans un secteur d’urgence » donc probablement pénibles et dans des conditions lamentables – sur la base du volontariat, dit-il, mais l’on sait que cela signifie que les plus pauvres y seront forcé de fait. Oh, oui, il propose aussi de « rétablir une assurance-chômage protectrice » mais cela ne signifie rien de plus que de revenir quelques années en arrières, avant l’ère Macron. Aucune avancée, aucun droit supplémentaire, aucune protection du droit en lui-même qui serait ré-attaqué par la droite dès son retour. N’attendez pas plus du Programme Partagé de Gouvernement de la NUPES ni du Contrat de Legislature du NFP.

Quant à la soit-disant extrême-gauche, au NPA – L’anticapitaliste (avec Philippe Poutou et Olivier Besançenot), on parle toujours de « privés d’emploi » et s’il revandique l’abaissement du temps de travail hebdomadaire, c’est seulement pour « supprimer le chômage », pour lequel il ne propose aucune avancée. Pour Nathalie Arthaud, Lutte Ouvrière, le chômage – plutôt que la pauvreté – est génératrice de délinquence. S’inquiète-t-on vraiment, à gauche, des voleur de pommes et des vendeurs de shit ? Elle considère également les chômeurs comme un vivier de main d’œuvre à disposition de l’État pour aller crever sur les chantiers afin de créer du logement supplémentaire alors que nous savons tous que tant de logements existants sont maintenus vides par la bourgeoisie pour organiser et maîtriser la pénurie et le « marché du logement ». Bref « le seul véritable droit des exploités est d’avoir un emploi. […] C’’est un droit élémentaire » parait-il. L’Union Communiste (Trotskyste) ne semble donc pas avoir pour volonté de libérer le travailleur de son état d’exploitation et d’aliénation au patronat capitaliste, mais au contraire et par conséquent, de maintenir l’ordre des classes tel qu’il est, peut-être pour pouvoir continuer de jouer aux victimes.

Contre la « GUERRE AU CHÔMAGE », la guerre à l’emploi !

Qu’est-il passé par la tête de ces chômeurs syndiqués pour revendiquer la guerre à leur propre doit ?!

C’est vrai, le salariat, l’emploi, le contrat de travail est une conquête prolétaire par rapport au travail à la pièce (disait-on à l’époque, « à l’acte » disons-nous maintenant) qui le précédait. Mais enfin, le temps passe et le patronat s’est plutôt habitué à cette modalité et sait en tirer profit. Aujourd’hui, bien que le retour au paiement à l’acte («ubérisation») est dans les cartons, le Patronat à su faire du CDD un outil de chantage et du CDI une prison.

Nous valons mieux que ça (#OnVautMieuxQueÇa), nous valons mieux que d’être de la ressource humaine. Nous sommes des travailleurs, nous sommes des êtres humains. Et à ce titre, nous méritons d’avoir les moyens de vivre en toutes circonstances, c’est-à-dire sans aucune contrepartie, et encore moins celle de vendre notre liberté et nos corps.

Pour cela il est nécessaire de reprendre le pouvoir sur la valeur que nous produisons, de la gérer entre prolétaires, de décider comment et à quelle condition la produire et quoi en faire. Oui, c’est d’autogestion dont je parles. Toutes nos peines en emploi à flipper de le perdre, obliger de carburer jusqu’à en crever, ou sans emploi, à galérer à survivre, obligés d’en quémander pour survivre, oui, toutes ces peines nous sont faites par le Patronat et son modèle Capitaliste !

Alors que faire ? D’abord je ne peux que saluer le travail fait par le Réseau Salariat et Bernard Friot qui nous fournissent un modèle économique communiste basé sur l’existant comprenant le droit universel et inconditionnel « à la qualification comme droit politique constitutionnel, appelé à devenir partie intégrante de la citoyenneté [qui] fondera pour son titulaire l’obtention d’un salaire à vie » (Manifeste du Réseau Salariat). Certains détails important sont à revoir selon moi mais cet objet politique constitue un base de discussion importante. Pour en dire un peu plus, continuant le travail des communistes de 1946 dans la fonction publique, la retraite, le chômage et probablement d’autres champs, ce modèle vise à détacher le droit au salaire de la subordination au capital et au patronat en le finançant par la cotisation autogérée. Cela permet à la fois de travailler selon les conditions qui nous correspondent mais également de ne pas travailler si le cœur nous en dit, que la santé nous le demande, ou tout autre raison que personne ne nous demandera. Voilà ce à quoi doivent aspirer les chômeur, transformer le droit au chômage en droit au salaire.

Certes, le chemin est long mais il y a sûrement plein de choses à imaginer entre-temps :

  • Intégration du chômage à la sécurité sociale dans le cadre d’une gestion majoritaire de la Sécu par les travailleurs et les chômeurs, vers une autogestion totale.
  • Réhausse des cotisations et suppression des exonérations.
  • Réhausse du taux de remplacement de 75% vers les 100%. (sans réduction des indemnités de fin de contrat)
  • Prolongation de la durée du droit, vers un droit illimité dans le temps.
  • Diminution de la durée minimum de cotisation, vers un accès inconditionnel.
    • Plus précisément, ouverture de droits dès la fin (prématurée ou non) de la scolarisation (abandon scolaire ou obtention d’un diplôme de niveau 3 ou 4).
    • Ouverture de droits pour les personnes handicapées (remplacement de l’AAH).
    • Droit minimum au niveau du seuil de pauvreté.
  • Ouverture de droits pour les démissionnaires.
  • Ouverture de droits pour les travailleurs (mais surtout les travailleuses) à temps partiel en complément du salaire.
  • etc.

Be Gay, Do Unemployement

Contrairement aux lesbiennes qui, étonnament, sont moins souvent en situation « d’inactivité » que leurs homologues hétérasexuelles, selon l’étude Orientation sexuelle et écart de salaire sur le marché du travail français, les hommes homosexuels déclarés seraient plus souvent au chômage puisque 12% des répondants étaient dans cette situation contre 4% des hommes hétéros. Les question de droits au chômage concernent donc particulièrement les homosexuels, presque autant que les femmes hétérasexuelles qui sont, elles, 24% à ne pas avoir d’emploi.

Laissons le travail aux hétérosexuels. Il semble que c’est ainsi qu’ils se sentent exister dans la société. Mais nous, homosexuels, avons d’autres ambitions, d’autres désirs de réalisation, et nos rêves ne pourront se réaliser que loin de l’usine, loin du bureau, loin du chantier, loin du domicile des bourgeois qui nous emploient. Organisons-nous pour construire nos droits à la liberté, et sortons – d’urgence ! – de l’emploi, du travail !

Gaspard Leyfaisse pour Pédale Révolutionnaire.
5 Novembre 2024

Post Scriptum : Le masculin à été utilisé parce que je publie ce texte sur un blog d’homosexuels pour les homosexuels. Mais il va sans dire, quoi que le préciser semble me paraître nécessaire, que les les femmes et les non-binaires au chômage font partie intégrante de la lutte pour les droits au chômage.

Fediverse Reactions

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *